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8 mai, face nord de l’Everest, camp de base 5100 – François

Drôles de sensations que de redescendre à « seulement » 5100 m après 12 jours passés à 6500 m (Advanced Base Camp), puis 7000 m (Lakpa Ri, col nord), puis 7500 m (arête nord sous le camp I). Le cerveau semble se remettre à fonctionner à peu près normalement, le corps apprécie le regain de température (seulement – 10° dans la tente perso au moment du coucher, autant dire les Tropiques), l’appétit réapparaît et le sommeil est réparateur…

Le métier d’himalayiste

Pour nous alpinistes, grimper sur l’Everest n’est pas difficile, techniquement parlant.

Marcher, nous savons faire. Les longues heures sur les moraines des immenses glaciers du Rongbuck – baptisés L’allée du miracle par nos aînées britanniques découvrant cet accès inespéré à l’arête nord de l’Everet – sont un émerveillement. Dominé par des centaines de cheminées de fées, des parois sculptées et colorées comme dans les dolomites, encerclé par ces kilomètres de « pénitents » de glace pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres, le regard est submergé.

Grimper, nous savons faire. Slalomer entre les crevasses du glacier pour atteindre le pied de l’immense pente du col Nord, remonter les cordes fixes tibéto-chinoises pour franchir les escarpements des murs de glace, manipuler autobloquants et auto-assurances, cramponner en s’économisant, gérer le sac-gants-buff-bonnet-polaire-crème-thermos appelle simplement quelques réflexes à notre expérience.

Mais lutter contre le vent incessant (les jet-streams ne sont pas encore tombés), dormir sous la tente qui claque incessamment, manger assis au sol, se réfugier dans le sac de couchage de 17h00 à 7h00 la gourde en guise de thermos sur le ventre et trois couches de vêtements empilés, s’enfouir le visage en hésitant entre étouffer à l’intérieur du sac de couchage ou geler à l’extérieur avec l’humidité de la respiration qui gèle instantanément en formant une agaçante couche de glace au bord du nez et des lèvres… voilà qui est moins quotidien à nos pratiques alpines. Une nuit, trois nuits, douze nuits… en se disant que ce n’est que le début de l’aventure.

 Bloodie altitude

Non, en fait tout cela n’est rien. Ou cela serait si peu sans l’effet de l’altitude.

En marchant, impossible d’accélérer ou de conjuguer plusieurs efforts. Faire une photo, sortir la caméra, reprendre le sac après avoir bu quelques gorgées coupe les jambes et affole le souffle.

En grimpant, passer un amarrage entre deux cordes, franchir un ressaut de glace, s’insinuer entre deux crevasses impressionnantes requiert une dizaine de secondes de récupération, puis une minute, puis deux minutes que l’on confond avec une dizaine de secondes.

Le soir venant, alors que le corps est posé à l’entrée de la tente, le cerveau rappelle qu’il est comprimé, laissant l’esprit en vagabondage. La pensée semble un mille-feuille à la recherche de sa cohésion et de sa cohérence. La volonté ne suffit pas. Il faut s’allier avec le temps. Le temps de la chimie du corps – propre à chacun, celui de la production des hormones qui permettent la multiplication de ces fameux globules rouges qui vont compenser en partie le manque d’oxygénation des autres cellules, celui des équilibres métaboliques qui vont tenter de rétablir les pressions pour que les organes n’explosent pas comme un vulgaire sachet de purée déshydraté.

Seul le temps est notre allié. Mais l’acceptation patiente de la diminution momentanée de nos forces et de nos capacités n’est pas un exercice  simple. C’est pourtant le seul qui convienne.

 

Le privilège d’être là

Nous ne cessons d’êtres émerveillés. Nous sommes aussi venu pour cela.

Les glaciers de Rongbuck pré-cités ? Nous avions évidemment le souvenir des lectures décrivant l’interminable calvaire (24 kilomètres de moraine en montagnes russes) de tous les prétendants à l’Everest versant nord. Nous y retournerons pourtant dans quelques jours avec les images époustoufflantes de glace, de roc et de ciels admirées lors de notre premier aller-retour.

Le col nord soufflé par le vent, première marche éreintante de la haute altitude ? Il nous a permis d’accéder à l’historique arête nord, embrassant d’un même regard la vertigineuse face nord et ses grands couloirs (Norton, Horbein), devinant le sommet de l’Everest à portée de main (et pourtant encore si haut), admirant les hautes sommets de la frontière tibéto-népalaise avec en particulier l’émergence de la pyramide du Pumori puis le Cho Oyu si cher à Sophie…

 

Patience

Nous sommes acclimatés.

Nous sommes « confortablement » installés au camp de base sous le mur austère de la moraine frontale de glacier de Rongbuck.

Devant nous, trône la Montagne des Montagnes et la splendeur de sa face nord.

Chaque matin, un panache de nuage nous rappelle la force des vents. Nous dépendons d’eux. Nous attendons que cesse leur souffle puissant. Au-delà de 40 km/h, toute tentative serait vaine.

Attendre, manger, boire, lire, dormir, rester concentrer.

Attendre et regarder le ciel tibétain.

Attendre.

Qui nous a appris à attendre ?

 

François